Photo de Germain Constantin. Une femme sur une charette. Photo prise de dos au coucher du soleil.

Sable et poussière

Ma gorge est sèche. Ma salive ne me désaltère plus. Ma langue est râpeuse au fond de ma bouche. Le souffle du vent chaud et rauque me parvient inlassablement. J’épouse le vent, je suis chaque grain de sable. Le soleil est devenu mien, nous ne faisons plus qu’un, continuant à errer pour le reste de l’éternité. De trou en trou, d’une vie à une autre, un jour ou l’autre quelque part, ici ou ailleurs un filet d’eau étanchera ma soif et m’offrira à nouveau des larmes, afin que mes yeux taris puissent couler à nouveau. Revivre ainsi, un jour. Appartenir à la mémoire des vivants, afin que plus jamais…

Ce texte, basé sur des faits réels, s’inscrit dans la campagne #16joursdActivisme contre les #VBG, cherchant à sensibiliser et à dénoncer les violences basées sur le genre.

Désert aride, arbre sans feuilles tendant désespérément leurs branches vers un ciel peu clément. Telle une supplique envers l’Être suprême, pour quelques gouttes d’eau.

Mariée, j’ai rejoint le domicile conjugal, le cœur en fête. Ils étaient peu nombreux, ceux qui m’ont accompagnée.

J’entrais dans ma vie de femme. Mon mari avait fait le déplacement spécialement pour la nuit de noces. Il vivait dans ces pays où il faisait, certainement, froid toute l’année. Il ramènera un peu de chaleur en partant. Je l’attendrai ici, dans ce village. Ma vie sera partagée entre travaux domestiques et support pour mes beaux-parents vieillissants. J’ai le cœur en fête, quel autre aboutissement existe-t-il pour une femme?

Il repartit aussi vite qu’il était venu et pendant sept longues années je ne l’ai plus vu.

Je le vis entrer dans ma chambre. Ombre noire, dans cette nuit sans lune. Il vint prendre place à mes côtés dans le lit. D’un mouvement de doigt sur ses lèvres, il m’intima le silence. Je me tus. Mon pagne encore retroussé, je l’observais sortant de la chambre en resserrant sa ceinture. Il venait de se passer ce quelque chose qui allait changer la vie à tout jamais. Il revint la nuit d’après et toutes les nuits qui suivirent, jusqu’au moment où les nausées matinales et mon ventre devinrent suspects.

L’enclos des moutons à l’arrière de la maison fut mon nouveau domicile. Entre moutons et chèvres, sur une vieille couverture que je partageais avec l’agnelle à peine sortie des entrailles de sa mère. J’y vécus cachée aux yeux du monde jusqu’à la délivrance. Délivrance ? Elle se fit sans bruit, tout comme tout ce qui s’est passé avant. Au petit matin, un trou fut creusé à côté des latrines et il y fut plongé, pleurant. Le bruit sourd qu’il fit en atterrissant au fond s’entend encore les nuits de grand froid quand la terre pleure d’être restée sèche trop longtemps et, craque.

Un puit sans fond
Crédit photo: Germain Constantin

Je rejoignis ma chambre le jour même. Personne n’en a plus jamais reparlé, cet épisode n’a jamais existé.

La vie reprit son cours normal. Poussière, sable et soleil…

Sa voix claire le précéda dans la cour. Ne dit-on pas de Dieu qu’il compense toujours ce qu’il ne t’a pas donné. Il n’avait pas perdu au change. Sa voix était divine. Il transcrivait en mots et émotions tout ce que ses yeux ne voyaient plus.

Le mendiant fit ainsi sa première apparition de la saison, son dernier passage remontait à l’hivernage précédent. Sa venue était attendue. Avec lui, nous recevions tout un tas de nouvelles de contrées lointaines que ses pieds avaient visitées et dont ses oreilles avaient mémorisé chaque bruit. Son nez avait imprimé chaque odeur. Il restait une journée et repartait le lendemain matin, rituel immuable.

Seule figure innocente.

Cette fois-ci, les offrandes furent plus nombreuses qu’à l’accoutumée, il reçut même une brebis. Son bêlement plana encore longtemps dans l’aube naissante.

Je fus réveillée à nouveau par l’ombre qui fit grincer ma porte en pénétrant dans ma chambre. Tout comme la première fois, il était revenu le temps du silence. Silence de mort. Ni vent qui chante, ni arbre qui gémit, ni sol qui craque, les animaux ne se réveilleront pas ce soir ni les nuits à venir. Les Hommes, eux, préfèrent garder les yeux fermés, ce qu’on ne voit pas ne nous engage pas. Seul le grincement du sommier usé accompagnera les assauts. Témoin de toutes ces scènes, nuit après nuit. Jour après jour. Je finis à nouveau dans l’enclos, elle m’y emmena personnellement comme la première fois. L’agnelle avait grandi et avait à son tour mis bas. Enfin du répit. Il ne m’y trouverait pas. Il y a des limites à tout, même à l’ignominie. Nuit après nuit, mon ventre s’arrondissait.

Jour après jour, sa voix s’élevait face à l’aurore, appelant à la prière et au repentir.

Qui l’absoudrait.

La petite fille aux yeux clairs rejoignit son frère au teint sombre dans la fosse creusée pour l’occasion, je me bouchai les oreilles. Je n’entendrai pas ses cris.

Je sortis de l’enclos pour venir rejoindre la tribu autour du repas de midi. Le soleil était au firmament. 

Par  une superbe journée.

Les regards restèrent obstinément rivés sur le bol au milieu duquel trônait une tête de poisson qui avait connu des jours meilleurs, artistiquement posée sur un lit de riz blanc coloré par un peu d’huile de palme. Je pris place à côté du plus jeune, m’éloignant comme je pouvais de lui.

Le sang continua à couler longtemps, me vidant de ce qui me restait de vie. D’humanité.

Quand il revint dans ma chambre pour la énième fois, je n’attendis pas qu’il retrousse mon pagne, je le fis moi-même.

Elle nous trouva ainsi, moi observant le toit de paille et lui finissant son œuvre en mon sein. Elle savait depuis longtemps, depuis la première nuit. Se chargeant elle-même de les jeter dans le trou qu’elle faisait creuser. Il la suivit docilement. Mon pagne resta comme cela, pendant que ce qui restait de lui coulait d’entre mes jambes. Un rayon de soleil pu trouver le chemin de mon toit en paille. Venant à l’assaut de mes yeux secs qui le fixait obstinément.

Sa voix me parvint me ramenant dans mon corps. Le calme de la,maison n’était pas anodin. Il s’en étonnait entre deux envolées. Sa voix vint enfin l’accueillir. De l’eau lui fut offerte et on l’installa comme d’habitude sous l’arbre de la cour.

Elle entra dans ma chambre avant l’aube, fit mon baluchon et me prit par la main.Je la suivis docilement. Arrivée devant le mendiant, elle posa ma main dans la sienne. Aucun mot ne fut échangé entre eux. À ses pieds, les autres offrandes attendaient. Je pris la place de la brebis.

Il vint nous dire au revoir, à sa façon, avec le regard qui fuyait.

Je vois en ses traits, le visage de mon mari avec 30 ans de plus.

Le sang ne ment pas. Il ne ment jamais

Ma gorge est sèche. Ma salive ne me désaltère plus. Ma langue est râpeuse au fond de ma bouche. Le souffle du vent chaud et rauque me parvient inlassablement. J’épouse le vent, je suis chaque grain de sable. Le soleil est devenu mien, nous ne faisons plus qu’un, continuant à errer pour le reste de l’éternité. De trou en trou, d’une vie à une autre, un jour ou l’autre quelque part, ici ou ailleurs un filet d’eau étanchera ma soif et m’offrira à nouveau des larmes, afin que mes yeux taris puissent couler à nouveau. Revivre ainsi, un jour. Appartenir à la mémoire des vivants, afin que plus jamais…

PS: Les images sont soumises au droit d’auteur. Merci à Germain Constantin pour ces fabuleuses images. Comme au premier jour, je reste fascinée par son travail. Vous pouvez trouver une partie de son travail ici

Un remerciement particulier à Amina Seck, qui un jour m’a raconté cette histoire

2 thoughts on “Sable et poussière

  1. Ah mon cœur saigne, pourtant cette histoire partagée n’est qu’une parmi tant d’autres.
    Des violences dont la société s’accommodent avec la complicité des proches.
    Ooh ce mariage l’accomplissement ultime d’une femme sénégalaise. Si on ose le questionner la foudre des phallocrates s’abat sur nous.
    Merci pour le partage 😢

  2. Jen ai le coeur brisé en mille morceaux!! Je pense à ces innoncents bout de bois de Dieu, connaitre la souffrance dés qu’ils ont mis le nez dehors. À cette femme souillée dans l’âme et qui jamais n’obtiendra justice sur terre. Car oui dans l’au delà j’ose espèrer que chaque mal qu’on fais subir à une âme on le paiera chère!!! Inhumain!! J’en ai des maux de tête!

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